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La grande tribu des indignés

lundi 1er avril 2013, par grand-Pierre

Entre les pleureuses et les indignés il y a un pas.

Les pleureuses se lamentent et les indignés s’indignent. C’est déjà ça de mieux. Mais la poudre des indignés se corrompt au contact de l’humidité et de la grisaille quotidienne. Et un indigné sans ses cartouches, c’est peut-être un abstentionniste de plus.

Les cabanes de Brest nous donnent-elles un fil conducteur ? Allez-y voir...

Fluctuat nec mergitur

En période de crise, la population laborieuse souffre, étant aux premières loges pour subir les plans sociaux et voir reculer dans le temps l’âge légal du départ en retraite. Le chômage des seniors est à l’ordre du jour. Le moral descend lentement dans les chaussettes.

Tous les jours la grande presse moissonne pour nous des brassées de mauvaises nouvelles. Tous ce qui va mal dans le vaste monde nous est servi en boucle depuis notre lever jusqu’à notre coucher.

Le sang ne manque pas hélas dans cette moisson bien qu’il n’en coule qu’assez peu finalement chez nous par rapport à ces pays marqués par le destin où la souffrance des humbles et des innocents est elle dramatiquement quotidienne.

Notre rang mondial, jusqu’à présent, nous maintient au-dessus du flot et nous évite le naufrage même si ce flot engloutit dans notre pays certains secteurs économiques ou industriels, comme la vague du ressac qui lave le sable et détruit les châteaux des enfants. Pour ces raisons, il y a de la peine un peu partout maintenant pour les classes moyennes et les classes populaires.

Les pleureuses

Les pleureuses écoutent ces mauvaises nouvelles attentivement et font le constat de la morosité qui règne.

Elles sont perpétuellement à la recherche d’une âme sœur pour pouvoir pleurer de concert.

- Avez-vous entendu la dernière ? Il parait qu’"ils" vont vendre les lacs en Alaska !

- Non ? C’est vrai ? A qui ?

- Aux multinationales pardi !

- Mais savez-vous que j’ai entendu dire que l’eau aussi peut avoir soif ?... Ne trouvez-vous pas cela angoissant ma chère ? C’est un poète qui l’aurait dit.

Effectivement, en cherchant, les sujets de découragement ne manquent pas et l’on peut de temps à autre percevoir l’indignation qui fini par percer sous les lamentations. Ainsi, de conversations en papotages, d’arrêts trottoir en pauses café les pleureuses finissent parfois par s’indigner pour de bon. Mais encore ? ... Après ?

Stéphane Hessel, qui nous a malheureusement quitté récemment, et qui su lancer ce formidable mouvement des indignés avait senti qu’il fallait les inciter à s’engager plus avant. Hommage soit rendu au grand batteur d’estrades disparu qui n’avait plus d’âge mais affichait fermement ses convictions. (Voir l’article à ce sujet)

Les cabanes de Brest

Durant la dernière guerre, les bombardiers anglo-américains s’attaquaient aux forces allemandes en larguant à haute altitude des tapis de bombes sur nos villes côtières. Brest fut réduite en poussière et bombardée (depuis 1941) à 165 reprises. Les survivants furent relogés provisoirement dans des baraquements de bois où une grande promiscuité rapprochait des gens, de toutes origines socio-professionnelles, dans le contexte extrêmement difficile de l’immédiat après-guerre.

Un témoignage entendu récemment dans une émission rappelait l’émotion de ces personnes, qui, ayant vécu cette époque difficile à Brest, en conservait un souvenir attachant, celui de la solidarité et de la convivialité ce qui peut paraître surprenant. Puis, lorsque les habitants purent enfin être relogés décemment, les avocats et les médecins retournèrent dans les beaux quartiers et les mécanos et les maçons dans les leurs. Les murs reconstruits séparèrent à nouveau les différentes classes sociales. Chacun reprit sa place et sa fonction dans la hiérarchie de la société.

Monter la mayonnaise

Faut-il éprouver du regret pour cette époque des cabanes de Brest ? Ou bien, dans un autre registre, pour la conscription républicaine obligatoire qui maintenait "pendant son temps individuel et ceci jusqu’à la quille" la mixité sociale des mâles français ? Sans doute.

Pour vivre ou "vibrer" ensemble, il ne reste plus aujourd’hui aux populations que les matches de foot ou les manifs. Le reste du temps les gens sont dans leurs "boîtes" individuelles ou, au mieux dans des associations. Ne parlons pas des syndicats et des partis qui sont au plus bas rapportés au nombre global. Pour le vivre ensemble, il nous reste les sondages à la veille des élections...

Mais revenons à présent à nos pleureuses qui sont passées du stade larvaire au stade de l’imago indigné. Pour prendre leur vol, il ne leur suffira pas de déployer leurs ailes toutes neuves, il leur faudra aussi quitter leur cage.

Comme le soulignait Pierre Rabhi, nous vivons hélas de boîtes en boîtes, depuis le lycée, en passant par les dancings, l’usine et ceci jusqu’au cercueil. Une fois rendus là, il est vrai que nous nous y sentirons bien seuls. Mais avant ? resterons nous dans nos boîtes en pleurnichant sans pouvoir réussir à prendre le nécessaire envol et redonner quelque sens à notre société.

L’huile et l’eau ont une certaine tendance à se repousser mais quelqu’un heureusement a inventé la mayonnaise. Il faut battre le mélange assez longtemps pour que cette émulsion d’huile et d’œufs prenne corps. Belle image de mixité s’il en est.

La clé du problème, la solution à nos maux individuels d’indignés impuissants, ne réside-t-elle donc pas dans l’exemple fourni par ces cabanes, ou bien dans celui du "service armé national" ou encore dans cette délicieuse mayonnaise qui lie les membres de la tribu entre eux ? [1]

Lorsque l’on arrêtera de pleurer et que l’on aura fini de s’indigner, il sera temps peut-être de passer aux travaux pratiques et de commencer à battre fermement la mayonnaise.

Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu’elle montera en un tour de main.


[1Il existe des pays si petits que l’on sait encore y vivre ensemble. La tribu par exemple, au-delà de trois cent membres, se scinde car ce nombre représente la limite au delà de laquelle il devient difficile aux membres du groupe de se reconnaitre. Se reconnaitre impliquant obligatoirement le respect mutuel (qui pâtirait en cas de surnombre). Ce sont des données établies par un sociologue éminent.